Le plan du Conseil fédéral si la 13e rente AVS passe

Arthur Grosjean (24 Heures), Markus Häfliger (Tages Anzeiger) - La ministre des Finances avance deux pistes, dont une hausse de la TVA. Elle répond aussi aux critiques concernant l’abonnement de ski et la rente des conseillers fédéraux.

Êtes-vous ministre des Finances ou magicienne?

J’aimerais bien avoir une baguette magique pour sauver les finances fédérales.

Vous l’avez utilisée pour le budget 2025. L’astuce comptable qui sort du budget les dépenses en faveur des Ukrainiens vous a permis d’économiser plus d’un milliard. C’est de la magie. Bravo!

Non, ce n’est évidemment pas le cas. L’article 15 de la loi sur les finances définit les dépenses qui peuvent être comptabilisées à titre exceptionnel. Le cas classique était celui de la crise du Covid-19. Le deuxième cas était la comptabilisation des dépenses pour les réfugiés venus d’Ukraine. La vraie question est: pendant combien de temps? Lors de la pandémie, c’était trois ans. Pour l’Ukraine, nous en sommes à trois ans et je suis clairement d’avis que cela ne peut pas durer.

Le retour à la normale était prévu pour 2025…

Le Conseil fédéral a entre-temps prolongé le statut S pour les Ukrainiens. Mais je suis d’accord avec vous. Il faut revenir à une comptabilisation en bonne et due forme. Quand? Il n’y a pas de vérité scientifique en la matière. Si on l’avait fait en 2025, il aurait fallu trouver un milliard d’économie ailleurs. Le Conseil fédéral est cependant déterminé à réintégrer petit à petit ces dépenses exceptionnelles dans le budget ordinaire.

Vous puisez dans divers fonds comme celui du chômage, de l’infrastructure ferroviaire ou des EPF. Ce ne sont pas de vraies économies.

Ces mesures pouvaient être décidées sans réductions de prestations. Des réserves qui, par ailleurs, ont été financées par l’argent du contribuable. Le défi pour faire des économies, c’est que 80% du budget fédéral concerne des paiements que nous faisons aux communes, aux cantons, aux œuvres sociales, aux CFF, aux EPF, etc. Deux tiers des dépenses sont liées à des lois ou à la Constitution. Chaque adaptation dans ce domaine demande du temps. Je suis au Département des finances depuis un peu plus d’un an. Et j’avais sur mon bureau 2 milliards de déficit en arrivant.

C’est quand même votre 2e budget et vous ne présentez pas d’économies substantielles. Un refus de travail?

Nous avons réduit nos versements à des fonds qui n’en ont pas besoin. Prenons celui de l’assurance chômage. Nous y avons versé 16 milliards pendant la crise Covid. Là, nous récupérons 590 millions en 2025, sans toucher aux prestations.

Vous devez résoudre un déficit structurel de 3-4 milliards de francs. Vous allez faire appel à un groupe d’experts de l’extérieur pour y arriver, c’est exact?

C’est l’idée, oui. Le but n’est pas de confier cela à une société d’audit mais à des personnes qui connaissent bien de l’intérieur l’administration fédérale, pour y avoir travaillé par exemple. Le but est de dégager un plan d’économies qui sera discuté au Conseil fédéral avant de consulter les cantons, les partis et les partenaires sociaux.

Pourquoi ne pas mandater des gens de votre département? C’est mieux de confier le «sale boulot» d’économies à des personnes externes?

Je pense que c’est bien d’avoir un regard extérieur pour avoir un œil plus critique. Et le Département des finances est lui-même concerné.

Ce n’est pas le premier exercice du style. Il faudra compter avec l’opposition du parlement, voire du peuple. En général, cela ne se termine par des petites économies de quelques centaines de millions…

Ce scepticisme est justifié au regard des précédents paquets d’économies. Mais nous n’avons pas le choix. Nous avons un problème de dépenses et pas de recettes. Nous ne pouvons pas augmenter les impôts, d’autant plus que nous avons déjà relevé cette année la TVA de 0,4%. Nous avons aussi introduit l’impôt minimal de l’OCDE pour les entreprises et supprimé l’exonération fiscale pour les voitures électriques. Une hausse d’impôts pèse sur la classe moyenne et sur l’économie. Et en général, ces recettes supplémentaires s’envolent en fumée, car elles suscitent des convoitises. Il faut aussi souligner que malgré les économies nécessaires, les dépenses de la Confédération ne cesseront pas d’augmenter. On ne coupe donc pas vraiment, mais on ralentit la croissance!

Le Conseil fédéral n’a-t-il pas un problème de crédibilité pour demander des économies? Il n’arrive pas à renoncer à une dépense pour son abonnement gratuit de ski…

Je ne sais même pas faire de ski! Cet abonnement nous était offert auparavant par l’Association des remontées mécaniques suisses, ce qui juridiquement pourrait poser problème en constituant un avantage indu. C’est pourquoi c’est payé maintenant par la Confédération.

Pourquoi n’y avoir pas renoncé?

On aurait pu. Cette question sera certainement discutée au sein du Conseil fédéral.

C’est comme pour les rentes du Conseil fédéral. Personne ne comprend que vous gardiez un système qui vous octroie une rente complète à vie après quatre ans.

Cette question relève de la compétence du parlement. Il a récemment décidé de maintenir ce système, dans l’idée que des personnes puissent se mettre à disposition du Conseil fédéral sans craindre de rencontrer des problèmes économiques si elles ne sont pas réélues, par exemple, ou si elles quittent le Conseil fédéral.

Que se passera-t-il pour les finances fédérales si le peuple dit oui à la 13e rente AVS le 3 mars?

Ce que l’on l’ignore souvent, c’est que la Confédération finance 20,2% des rentes AVS avec l’argent des contribuables. Le texte de l’initiative dit qu’elle doit être appliquée dès 2026. Cela signifie donc qu’à partir de 2026, la Confédération devrait immédiatement dépenser 800 millions de plus. Puis, ce sera 1 milliard en raison de l’évolution démographique. Et il n’y a pas de financement prévu. Voilà pourquoi le Conseil fédéral a dit que les effets de l’initiative n’étaient pas supportables sans recettes supplémentaires.

Vous proposerez une loi urgente de financement si le oui l’emporte?

Je ne vais pas me positionner ici sur la marche à suivre. Ce que l’on peut supposer, c’est que le Conseil fédéral mettrait rapidement, après la votation, un projet de financement en consultation. Cela passera-t-il par une hausse de la TVA ou une baisse de la participation fédérale à l’AVS? Dans ce dernier cas – qui nécessiterait une modification de loi –, il appartiendrait au fonds AVS d’absorber la 13e rente.

Votre avis sur cette 13e rente AVS?

L’acceptation de cette initiative aggraverait la situation financière de l’AVS, alors que nous avons réalisé deux réformes qui l’ont améliorée. La dernière a été acceptée de justesse par le peuple, avec un relèvement de l’âge de la retraite des femmes couplé à l’augmentation de la TVA. Cet effet serait balayé rapidement en cas d’acceptation de l’initiative. Nous savons que la situation de l’AVS sera stable jusqu’en 2030, mais plus ensuite. On déstabiliserait ce qu’on a essayé de stabiliser et on créerait en même temps des dépenses supplémentaires qu’on ne pourrait pas financer sans augmenter les impôts. Dire cela, ce n’est pas une menace comme on nous le reproche. Les chiffres sont sur la table.

Les gens disent que c’est une menace. Parce que le gouvernement fédéral discute, par exemple, de 6 milliards pour la reconstruction de l’Ukraine. Donc, l’argent est là, mais «pas pour nous».

Il y a une multitude de tâches qui sont assumées par la Confédération: sécuritaires, sociales, humanitaires, etc. Et tout le monde n’est pas toujours d’accord. Si je pouvais choisir, je composerais peut-être aussi un menu des tâches différent. Cela ne sert donc à rien d’opposer les tâches de l’État les unes aux autres. Au surplus, en ce qui concerne l’Ukraine, aucune décision n’a encore été prise.

Vous évoquez dans «Le Temps» une «fièvre dépensière» de la Suisse. La mentalité est en train de changer?

Est-ce dû au Covid ou non, une chose est sûre: on exige plus de l’État. Auparavant, la responsabilité individuelle jouait un rôle plus important. On regardait comment résoudre soi-même le problème et on se montrait solidaire avec les plus faibles. C’est cette mentalité qui explique le succès de notre pays. Avec la 13e rente AVS, où est l’aide ciblée si tous les retraités reçoivent plus d’argent de l’État, indépendamment de leur situation financière et patrimoniale? Il a toujours été clair – et, je pense, pour tous les partis au-delà de toutes les convictions – que l’on aide là où c’est pertinent. En continuant d’exiger toujours plus de l’État, nous allons l’affaiblir et il ne pourra plus fonctionner correctement.

L’armée est confrontée à des difficultés financières. Le président des Verts a donc proposé que vous repreniez provisoirement le Département de la défense.

Merci beaucoup, mais j’ai suffisamment de travail dans mon département! Les finances des départements sont d’ailleurs l’affaire des départements eux-mêmes. Le Département des finances n’est pas non plus un département de surveillance. Le Contrôle fédéral des finances joue ce rôle.

La Suisse ne consacre que 0,7% de son produit intérieur brut à la défense, moins que presque tous les autres pays d’Europe. Est-il juste que la Suisse ne participe pas plus à la sécurité européenne?

La Suisse est solidaire parce que nous visons une augmentation considérable de l’armée. D’ici 2035, nous dépenserons 20 milliards de plus en cumulé pour l’armée que ce qui était prévu avant la guerre en Ukraine. J’ajoute que cette croissance des dépenses doit aussi être finançable. Mais pour l’armée aussi, il faut garder le sens de la mesure. Et je me pose encore une autre question.

Laquelle?

Quel est le sens de lier les dépenses de l’armée à un pourcentage du produit intérieur brut? Il serait plus judicieux de définir d’abord les capacités dont une armée a besoin et d’en déduire ensuite les moyens nécessaires. De plus, les comparaisons internationales ne tiennent pas compte du fait que la Suisse dispose d’une armée de milice. Il faudrait donc aussi prendre en compte les allocations pour perte de gain dans ces comparaisons. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Donald Trump a laissé entendre que les États-Unis pourraient ne pas défendre l’Europe en cas de guerre. Le président du PLR, votre parti, estime que face à cette évolution, l’armée a besoin de plus d’argent. Que lui répondez-vous?

On est d’accord de renforcer l’armée. Celui qui veut une croissance encore plus rapide du budget de l’armée doit aussi dire comment financer cette croissance. Je n’ai encore guère entendu de propositions à ce sujet.

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Letzte Änderung 16.02.2024

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