Une pluie de millions tombée de Genève va soulager les finances fédérales
Le Matin Dimanche, Arthur Grosjean - La présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, nous parle d’AVS, de subventions trop élevées, d’accord avec l’UE, de conditions à Zelensky et de pouvoir personnel. Entretien.
La nouvelle présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, a multiplié les rencontres au sommet au WEF cette semaine. Elle a cependant trouvé le temps de nous accorder une longue interview à Davos.
Sur une échelle de 1 (déplorable) à 10 (excellent), quelle note donneriez-vous à l’état de nos finances fédérales?
Je dirais 5. Nous avons un budget conforme au frein à l’endettement, ce qui est positif. Mais si je me projette un peu dans l’avenir, nous allons vers des déficits annuels d’environ 3 milliards par an.
Cinq, c’est assez bas
Et la note ne s’améliore pas. Si je regarde l’année 2026, nous avons déjà, rien qu’avec les décisions du parlement, une charge supplémentaire de 500 millions pour l’armée. Le financement de la 13e rente AVS nous coûtera 900 millions. Et il y a encore 600 millions pour le paquet Horizon, qui ont certes déjà été adoptés par le parlement en 2020, mais pas encore budgétisés. En tout, cela représente une charge supplémentaire d’environ 2 milliards. On voulait économiser un peu sur notre contribution annuelle à l’AVS. Mais soyons réalistes: il est probable que le parlement refuse la mesure. La bonne nouvelle, c’est que nous allons recevoir des recettes supplémentaires non prévues en provenance de Genève.
Quelles recettes?
Le Canton de Genève nous a avertis qu’il allait encaisser des recettes nettement plus élevées, en particulier sur les entreprises faisant le négoce des matières premières et de l’énergie. Cela porte sur les années 2022 et 2023. Selon les premières estimations, ces recettes extraordinaires pourraient rapporter plusieurs centaines de millions par an pour les trois prochaines années. Mais c’est loin d’être suffisant pour redresser les finances fédérales.
Est-ce que les recettes extraordinaires sont liées à la guerre en Ukraine?
Je ne peux pas le dire. Mais il semble que les négociants en matières premières ont fait de bonnes affaires en 2022 et en 2023.
Le budget 2024 de la Confédération affichait un déficit de 2,6 milliards. Serons-nous dans les chiffres noirs pour les comptes?
Les comptes devraient être meilleurs que prévu, notamment parce que la contribution unique de près d’un milliard que le parlement souhaite pour les CFF sera payée en 2025 au lieu de l’année passée. Mais impossible encore de chiffrer les revenus supplémentaires.
Taxation des 2e et 3e piliers
Vous pourriez renoncer à taxer plus fortement le 2e et le 3e pilier, une décision qui a provoqué beaucoup de réactions.
On a dit beaucoup de choses fausses à ce sujet. Comme quoi on ne pourrait plus déduire la cotisation au 3e pilier ou son rachat de cotisation dans le 2e pilier. Non, le Conseil fédéral continue à encourager l’épargne vieillesse, mais souhaite simplement augmenter quelque peu le barème fiscal lorsque la personne touche son capital du 2e ou du 3e pilier au lieu de prendre une rente. C’est l’une des rares mesures du paquet Gaillard qui touche aux recettes. Car nous l’avons toujours dit, nous avons un problème de dépenses, pas de recettes.
À gauche, on vous reproche de trop tailler dans les dépenses. Et on menace déjà de lancer un référendum contre «ces coupes» dans le budget.
Un référendum est probable. Mais ce programme ne permet pas de faire de vraies économies. Il s’appelle d’ailleurs «programme d’allègement», car nos dépenses vont continuer d’augmenter de 2% par an au lieu de 3%. On ne fait donc que réduire la croissance des dépenses de 1%. Nos dépenses se composent en grande partie de subventions. La Confédération est une machine à redistribuer. Si vous regardez le nombre de subventions créées et développées ces dernières années, c’est déplorable. Ce n’est pas le rôle de l’État de financer chaque intérêt particulier!
Les bonus des banquiers
La commission d’enquête parlementaire sur la débâcle CS a terminé son travail. Que faut-il faire? Réduire les bonus dans les banques?
Le Conseil fédéral a déjà dit que l’on doit pouvoir exiger le remboursement des bonus en cas de mauvaise gestion. Il faut le faire en combinaison avec le système de «senior manager regime». Ainsi, on pourra attribuer plus clairement la responsabilité des décisions à des personnes.
La FINMA doit-elle pouvoir distribuer des amendes?
Oui, même si ce n’est pas une solution miracle. Les principales questions concernent cependant les liquidités et les mesures pour faciliter la liquidation ainsi que les fonds propres d’une banque.
Pour UBS, allez-vous exiger que la banque dispose de fonds propres entre 15 et 20 milliards?
Il est prématuré d’indiquer un montant concret. Outre la forme effective de cette mesure, c’est surtout l’importance des filiales à l’étranger dans le bilan de la maison mère qui est déterminante. Cela dépend d’UBS et peut donc varier. Nous devons toutefois nous assurer que la capacité d’action stratégique soit donnée en cas de crise. À Credit Suisse, cela n’a pas été le cas en raison d’une capitalisation insuffisante dans la maison mère. La marge de manœuvre restera centrale à l’avenir, car une liquidation dans le cas d’une banque d’importance systémique sera toujours exigeante et ne restera donc qu’un dernier recours.
Le patron d’UBS, Sergio Ermotti, s’oppose, pour des raisons de compétitivité, à une obligation de fonds propres trop élevée.
Je comprends qu’UBS défende ses intérêts. Quand on renforce les prescriptions en matière de fonds propres, cela coûte de l’argent qui pourrait être investi autrement ou distribué sous forme de dividendes. Mais nous avons un autre rôle à jouer. Nous devons éviter que, en cas de crise, la collectivité ne doive finalement payer pour l’échec de l’entreprise. Et nous devons aussi éviter que, lorsqu’une banque fait faillite, toute l’économie nationale en pâtisse.
La conférence du Bürgenstock, un flop?
Vous avez rencontré le président ukrainien au WEF. Vous avez clairement dit que la Russie devait être présente si la Suisse organisait à nouveau une conférence pour la paix. Quelle a été la réaction de Zelensky?
Ce n’était pas la seule condition. J’ai dit au président Zelensky que la Suisse était toujours prête à soutenir le processus de paix, qu’elle souhaitait offrir ses bons offices, que nous étions également prêts à soutenir une deuxième conférence, mais qu’il fallait certaines conditions préalables. Nous devons savoir ce que font les Américains, car ce n’est pas encore clair. Les Américains sont ici un facteur clé dans le règlement d’une négociation de paix. Ensuite, les Russes doivent également être à la table des négociations. Enfin, il est important d’impliquer le Sud global. J’ai assuré au président Zelensky que nous étions d’accord pour mener, par exemple, des discussions exploratoires et préparatoires. Il nous a remerciés pour cela.
Cela signifie-t-il qu’avec le recul, la conférence du Bürgenstock était un flop, vu l’absence de la Russie?
Il s’agissait simplement d’un point de départ international avec cette participation aux discussions. Et pour la Suisse, le Bürgenstock a été important, dans la mesure où il a permis à notre pays d’avoir accès à différents acteurs. Et dans une telle situation, on ne peut pas s’attendre à ce que la paix s’installe du jour au lendemain. Le président Trump ne fera pas non plus la paix dans les vingt-quatre heures. Et c’est aussi l’objectif de la Suisse d’avoir une paix juste et durable pour l’Ukraine.
La Suisse peut-elle vraiment jouer un rôle de médiateur alors que la Russie ne la considère plus comme neutre?
Je n’ai plus entendu cela de la part de la Russie depuis un moment. C’est un peu de la rhétorique. Nous en prenons note.
Que pensez-vous du nouveau président Donald Trump?
Difficile de l’appréhender, car il reste imprévisible. Ce qui est sûr, c’est qu’il est important d’avoir une bonne relation stable avec l’administration Trump afin de préserver nos intérêts. Les États-Unis sont notre plus grand partenaire commercial en tant que pays individuel. Avant, c’était l’Allemagne.
Avantages et inconvénients de l’accord avec l’UE
Les négociations avec l’UE sont terminées, mais il y a toujours de fortes oppositions de la part de la gauche et de la droite. Le projet d’accord est-il mort-né?
Nous n’en sommes qu’au début du processus. Le Conseil fédéral dit qu’il est dans l’intérêt de la Suisse de stabiliser et de développer la voie bilatérale avec l’UE. Cet accord sert à cela, et le gouvernement estime que les buts fixés dans le mandat de négociation ont été atteints. Mais la grande discussion commence maintenant. À la fin, le peuple devra également décider et procéder à une pesée des intérêts entre les avantages et les inconvénients. Que signifie le rejet de ce traité? Que signifie son acceptation? Chaque citoyen, chaque citoyenne devra réfléchir: qu’est-ce qui est le plus important pour moi?
Et vous, vous en pensez quoi?
Ce n’est pas une question d’avis personnel d’une Keller-Sutter, d’un Cassis ou d’une Baume-Schneider. Le Conseil fédéral a clairement dit qu’il était dans l’intérêt de la Suisse de stabiliser et de développer la voie bilatérale. Dans ce dossier très complexe, il faut s’attendre à ce que les débats au parlement soient vifs et à ce qu’il en soit de même lors d’une éventuelle votation populaire. Je me souviens encore de 1992, de la votation sur l’EEE. Ces questions ont toujours été émotionnelles et controversées. Et c’est pourquoi le Conseil fédéral a lui aussi intérêt à présenter les choses de manière sobre et objective.
En comparaison avec la votation de 1992, on ne sent pas du tout l’enthousiasme du Conseil fédéral, sauf peut-être chez Viola Amherd. D’où la question: êtes-vous vraiment convaincus par ce paquet d’accords?
Ce n’est pas le rôle du Conseil fédéral d’être enthousiaste. Son rôle, c’est de préserver les intérêts de la Suisse.
Immigration et endettement
Du point de vue des partis bourgeois, la clause de sauvegarde sera centrale. Est-elle suffisamment efficace pour que la Suisse puisse limiter l’immigration en cas d’urgence?
La clause de sauvegarde prévue représente un progrès par rapport à celle qui existe aujourd’hui dans l’accord sur la libre circulation des personnes. Elle complète un dispositif de protection du système social suisse, qui a été négocié avec l’UE. Elle doit bien sûr encore être précisée dans le droit national, pour que soient définis les critères permettant de la déclencher et les mesures que la Suisse pourrait adopter. Il est important de disposer d’un mécanisme qui permette de dire à la population que, si l’immigration devient trop importante, nous avons la possibilité de la limiter pour une courte période, voire pour un certain temps.
Quand on regarde les pays européens voisins (France, Allemagne, Autriche), on constate une montée du populisme et une instabilité des gouvernements. Cela vous inspire quoi?
Ce qui est intéressant, c’est que ces crises gouvernementales sont toutes provoquées par une mauvaise situation financière. La coalition en Allemagne s’est fracassée sur des questions de politiques financière et économique. En France, nous avons une situation très instable en raison d’un endettement massif. On a beaucoup critiqué l’Italie, en dénonçant le retour du fascisme. Mais c’est le gouvernement voisin le plus stable pour l’instant. N’allez pas croire que je me réjouisse des problèmes de gouvernance de nos voisins. Au contraire. Le succès économique de ces pays est un élément central pour la prospérité de la Suisse.
«Je ne suis pas là pour faire de la figuration»
Les médias font de vous la femme forte du Conseil fédéral. Cela vous flatte-t-il, ou cela vous pose-t-il plutôt des problèmes au sein du Conseil fédéral?
J’en prends acte. Mais c’est le genre d’étiquette que les médias aiment bien coller, surtout s’ils considèrent qu’une femme de pouvoir est quelque chose de spécial. Il est clair que je ne suis pas au Conseil fédéral pour faire de la figuration. Je voulais être élue parce que je veux accomplir des choses, avoir de l’influence. Mais cela nécessite toujours de trouver un consensus avec les autres. Dans ces temps géopolitiques troublés, je pense que le Conseil fédéral doit être un organe qui dégage de la sérénité, du calme, de l’unité, pour que l’on parvienne ensemble à des résultats. Nous sommes souvent critiqués par le parlement, ce qui fait partie du jeu. Bien que nous ayons peu de pouvoir, on nous attribue toute la responsabilité. Nous sommes toujours coupables, que nous décidions ou non. Et il faut vivre avec, n’est-ce pas?
Consigliera federale Karin Keller-Sutter

Anno presidenziale 2025
Karin Keller-Sutter sarà la presidente della Confederazione nel 2025.

Biografia
La consigliera federale Karin Keller-Sutter è a capo del Dipartimento federale delle finanze da gennaio 2023.

Foto autografata
Ordinare una cartolina autografata dalla Presidente della Confederazione svizzera.

Interviste e contributi
Selezione di interviste della Presidente della Confederazione Karin Keller-Sutter.

Discorsi
I discorsi della presidente della Confederazione Karin Keller-Sutter in versione integrale.