Discours d’ouverture de Karin Keller-Sutter
Rencontre annuelle 2025 du Forum économique mondial à Davos

Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Professeur,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Pourquoi rester confiant en l’avenir dans le monde d’aujourd’hui ? Je ne cherche pas à vous déstabiliser en vous posant cette question, et vais moi-même vous donner une bonne raison, parmi d’autres : la prospérité d’un pays et de sa population n’est pas le fruit du hasard. Il y a des règles, des principes qui y contribuent, et nous savons lesquels. Cette affirmation, scientifiquement fondée, a valu à Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson de recevoir l’an dernier le prix Nobel d’économie.
Leurs travaux ont montré que les pays dont les institutions sont orientées vers la communauté, qui protègent les droits de leurs citoyens et qui encouragent une concurrence loyale, prospèrent à long terme. En revanche, lorsque le pouvoir et les ressources sont concentrés entre les mains d’une petite élite, le bien-être collectif et la paix sociale ne peuvent s’épanouir. Et lorsque les temps sont troubles, en avoir conscience est un point de repère, qui montre la voie et constitue un plaidoyer fort en faveur des valeurs démocratiques et libérales.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Nous avons besoin de repères, aujourd’hui surtout. Le magazine britannique The Economist a un jour qualifié notre époque, avec raison, d’« ère de l’imprévisibilité prévisible ». Lorsque les certitudes se font relatives et qu’il faut toujours se tenir prêt à faire face à l’imprévu, il importe de créer de la fiabilité partout où c’est possible.
C’est avant tout à la politique qu’incombe cette responsabilité. Elle doit veiller à ce que les conditions soient adéquates, au niveau national comme qu’international. Dans l’esprit des lauréats du prix Nobel, permettez-moi de passer en revue ces conditions, que chaque pays doit d’abord s’assurer pour lui-même. La communauté internationale ne pourra que profiter de la force intérieure et donc de la prospérité et de la stabilité de chaque État. En fin de compte, elle ne peut être qu’aussi forte que la somme de ses membres.
Je voudrais premièrement évoquer la dimension institutionnelle. Seul un État doté d’institutions stables peut créer l’environnement sûr dans lequel chacun peut exprimer son potentiel le plus librement possible selon ses capacités. Cette liberté doit en même temps être protégée par des règles. Et l’économie a besoin de ce cadre sécurisé pour créer de la prospérité.
Deuxièmement, la compétitivité, à l’intérieur d’un pays, mais aussi avec le monde. Sans elle, pas d’innovation. Sans innovation, pas de progrès. Pensez au changement climatique : on ne pourra le maîtriser sans progrès technologiques. Mais pour que les meilleures idées profitent à tous, il faut que les marchés de production et de marchandises soient ouverts. Et ces marchés ne peuvent fonctionner que si nous veillons à ce que les règles soient équitables et transparentes. Le libre-échange des biens et des services a permis de réduire la pauvreté dans de nombreuses régions du monde et d’accroître globalement le bien-être de l’humanité, il ne faut pas l’oublier. Il y a bien sûr un potentiel d’amélioration. Nombreux sont ceux qui se sentent oubliés dans un monde globalisé. La crédibilité des institutions nationales et internationales en est affectée. C’est une autre raison, qui n’est pas seulement économique, pour laquelle la Suisse continuera d’œuvrer en faveur d’échanges économiques ouverts et réglementés.
Le troisième point dont j’aimerais parler est la solidité budgétaire. L’importance de finances publiques saines est capitale, surtout en période d’instabilité. Elles rendent l’État fort et résistant face aux crises. Elles lui permettent d’investir non seulement dans l’éducation et les infrastructures, mais aussi dans la sécurité. Dans la sécurité sociale, mais aussi – et surtout aujourd’hui – dans la sécurité militaire. Un État n’est crédible et souverain que s’il dispose de moyens suffisants pour s’acquitter de sa mission première, qui est d’assurer la sécurité. Dans le même temps, permettez-moi de le dire, la capacité d’action d’un État est aussi la meilleure défense contre les tendances populistes.
Je l’ai dit : la concentration du pouvoir et des ressources entre les mains de quelques-uns peut entraver le bien-être collectif et la paix sociale. J’ajouterais qu’il en va de même lorsque la politique dilapide l’argent des travailleurs sans fournir d’avantages en retour. Ou si elle vit à crédit et donc sur le dos des générations à venir. Je ne suis certainement pas la seule dans cette salle à m’inquiéter de l’endettement très élevé et croissant de nombreux pays, qui représente un risque non seulement pour ces pays, mais aussi pour la stabilité des marchés financiers internationaux.
En tant que ministre des finances, j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet au cours des dernières années. Il n’y a pas de marchés plus mondialisés que les marchés financiers. Leur stabilité ne peut donc être assurée que de manière multilatérale. Lors de la faillite de Credit Suisse, la Suisse a pu éviter que la perte de confiance en une seule banque n’entraîne une crise financière internationale. Si elle a pu agir, c’est aussi parce que ses institutions sont solides et parce qu’elle est forte financièrement, ce qui lui a permis de garantir des sommes importantes. Mais il s’en est fallu de peu, et un cadre réglementaire international plus strict me semble indispensable.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
La Suisse fait ce qu’elle doit faire pour conserver sa force intérieure et sa souveraineté. Cela lui permet également de s’engager au niveau international et de défendre des intérêts mondiaux par solidarité. Pour que cette solidarité ne reste pas sans effet, nous avons besoin d’accords internationaux qui soient respectés. C’est dans cet esprit que la Suisse œuvre en faveur d’une paix juste et durable en Ukraine et de la reconstruction du pays. S’agissant du Proche-Orient, nous pouvons nous réjouir de l’accord de cessez-le-feu dans la bande de Gaza et saluer le travail fourni par les États-Unis, l’Égypte et le Qatar pour le négocier.
Mais la politique n’est pas la seule à devoir prendre ses responsabilités, l’économie aussi – pour elle-même, pour la formation, pour l’environnement, pour la société. Il y a là, je le dis avec diplomatie, des progrès à faire. C’est un constat depuis quelques années, l’économie elle aussi recherche de plus en plus le soutien de l’État. Une situation que la pandémie a renforcée. Les salaires excessifs sapent en outre la confiance dans l’économie. Ces mauvaises tendances risquent d’éclipser les nombreux efforts sociaux et écologiques que tant d’entreprises déploient, du petit artisan à la grande multinationale. Je vous demande de faire briller à nouveau l’esprit d’entreprise. Je vous promets quant à moi que la Suisse œuvrera en faveur de conditions fiables au niveau national et international.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Les temps sont difficiles pour ceux qui n’ont pas de boussole intérieure, qui avancent sans repères ! À Davos en hiver, il vaut mieux aussi porter des chaussures à semelle profilée. Soyons prudents, veillons à ne pas nous casser la figure !
Merci de votre attention.
Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter

Année présidentielle 2025
Karin Keller-Sutter sera présidente de la Confédération en 2025.

Biographie
La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est à la tête du Département fédéral des finances DFF depuis janvier 2023.

Photo dédicacée
Commander ici une carte dédicacée par la présidente de la Confédération suisse.

Interviews et contributions
Les interviews de la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter.

Discours
Discours de la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter dans leur intégralité.