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Interviews, vidéos et articles invitésPublié le 17 février 2025

Karin Keller-Sutter à propos de J. D. Vance: «C’était un discours libéral, dans un certain sens très suisse»

Le Temps, Frédéric Koller - La présidente de la Confédération analyse le discours du vice-président des Etats-Unis à la Conférence de Munich sur la sécurité. Elle réagit à la critique de Washington contre l’Europe et, s’agissant des bilatérales, appelle l’économie à se mobiliser.

L’an dernier, aucun conseiller fédéral n’avait fait le déplacement à Munich. Pour la 61e édition de la Conférence de Munich sur la sécurité, la ministre de la Défense Viola Amherd et la présidente de la Confédération sont présentes. Karin Keller-Sutter a répondu en exclusivité aux questions du Temps quelques minutes après le discours du vice-président, J.  D. Vance, très critique à l’égard des Européens.

Le Temps: Quelles sont vos impressions de Munich?

Karin Keller-Sutter: Elles sont diverses. J’ai participé jeudi à une conférence pour lutter contre le financement du terrorisme. Vendredi, j’étais à l’ouverture de la conférence et j’ai eu beaucoup de rendez-vous bilatéraux.

Avez-vous rencontré un représentant de la nouvelle administration américaine?

Non. Personne ne connaît concrètement les intentions et les projets des Etats-Unis. Il semble que l’accès aux autorités américaines soit très limité. On a l’impression qu’elles font pour l’instant des annonces mais sans que des entretiens puissent permettre de les approfondir. Il est peut-être encore trop tôt, cette administration se met en place depuis trois semaines.

Qu’avez-vous pensé du discours du vice-président, J. D. Vance?

C’était un discours très libéral. Il était dans un certain sens très suisse lorsqu’il dit qu’il faut écouter la population.

N’a-t-il pas été très dur à l’égard de l’Europe?

On devait s’y attendre.

Partagez-vous ses critiques?

Ce n’est pas à moi de porter un jugement sur l’Union européenne ou les Etats-Unis. Il a parlé de valeurs à défendre et que nous partageons comme la liberté et la possibilité pour la population de s’exprimer. C’était un plaidoyer pour la démocratie directe. On peut le lire ainsi.

Il a dénoncé la censure de l’UE, êtes-vous d’accord?

C’est son opinion. Il a aussi affirmé un principe très libéral que je partage: il ne faut pas simplement partager les opinions des autres mais il faut aussi se battre pour qu’ils puissent les exprimer. Il était important de l’entendre en direct.

La menace, dit-il, ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur. Il n’a, par contre, fait aucune critique envers la Russie. Etes-vous surprise?

Non, ce n’est pas surprenant. Le vice-président ne parle pas du conflit en Ukraine, alors que c’est le sujet qui nous préoccupe le plus, y compris en Suisse. Les interlocuteurs avec qui j’ai parlé me l’ont confirmé.

N’assiste-t-on pas à un changement radical de la politique aux Etats-Unis?

Je ne sais pas si c’est un changement radical. On ne sait rien de concret.

On comprend que l’ennemi est l’Europe et qu’on doit s’accommoder de la Russie, non?

Je n’ai pas du tout cette impression. La Suisse salue l’initiative des Etats-Unis de faire avancer le processus en vue d’un cessez-le-feu qui doit conduire à la paix. A ce stade, personne ne connaît les plans des Etats-Unis. La Suisse est pour une paix juste et durable pour l’Ukraine. J’ai eu un entretien avec le président Zelensky en janvier, et je lui ai répété que nous sommes à disposition pour soutenir un processus de discussions exploratoires. S’il y a des entretiens entre les Etats-Unis et la Russie, il faut bien sûr que l’Ukraine soit impliquée, mais aussi l’Europe et le Sud global pour obtenir un résultat.

Y a-t-il un espoir qu’une négociation puisse se tenir en Suisse?

J’ai dit à M. Zelensky et au président du Conseil européen, M. Costa, que nous sommes à disposition pour tenir une deuxième conférence. Mais elle doit être bien préparée. La priorité est de stopper la guerre. La méthode de M. Trump est de faire une annonce, ensuite cela évolue. Je ne sais pas si le projet de départ est très concret, sans doute évolue-t-il.

Il faut s’en tenir aux faits et pas trop tenir compte des discours?

Oui. Les annonces sont une façon d’entamer des négociations. Il ne faut pas paniquer après chaque annonce.

Quel doit être l’apport de la Suisse à la sécurité du continent européen?

Notre apport est différent des autres. Il y a l’humanitaire, le déminage, les investissements dans l’armée pour restaurer la capacité de défense. On ne peut pas compter que sur les autres, nous devons être un partenaire fiable à l’intérieur de l’Europe. Et il y a les bons offices. Il y a un mandat de représentations des intérêts entre l’Ukraine et la Russie à la demande de Kiev que nous étudions. C’est dans ce domaine que nous sommes crédibles. On verra si cela aboutit.

La Suisse est-elle toujours interpellée par ses partenaires européens sur sa neutralité?

Non, pas du tout.

Y compris sur la réexportation d’armes?

Non. Au contraire. On remercie la Suisse pour ce qu’elle fait. On a compris quel pouvait être son rôle. Grâce à la conférence du Bürgenstock nous avons gardé un lien avec les Américains pour un éventuel suivi. Il ne faut pas surestimer notre rôle mais il est reconnu.

Quel est le principal danger aujourd’hui pour la Suisse?

La cybersécurité. Je ne crois pas à une agression directe. Nous devons dans ce domaine encore faire notre devoir.

La Suisse est-elle aussi menacée par le manque de liberté d’expression dont parle J. D. Vance quand il dénonce la lutte contre la désinformation?

Bien sûr, il y a les réseaux sociaux aujourd’hui. Mais la désinformation a toujours existé. Voyez la propagande des nazis. Je crois toutefois que notre société est mature, la population suisse avec la démocratie directe est sensibilisée. Il n’y a pas de censure en Suisse. Peut-être que le vice-président a été marqué par les conflits politiques aux Etats-Unis.

Bilatérales: «Que l’économie sorte du bois!»

Karin Keller-Sutter attend des entreprises qu’elles s’engagent pour expliquer en quoi la Suisse a besoin des accords négociés avec Bruxelles pour soutenir l’économie suisse.

Avez-vous évoqué la relation bilatérale avec les partenaires européens?

Oui, bien sûr. Les représentants des pays avec qui j’ai parlé sont satisfaits des résultats. Cela avance. On stabilise la relation.

Etes-vous convaincue que la Suisse a enfin les bons accords?

C’est une première étape. Le Conseil fédéral a pris acte de la fin de la négociation matérielle. Le DFAE [les Affaires étrangères] prépare le projet de consultation. J’explique à tous mes interlocuteurs que ce n’est pas une promenade de santé. Il y a encore des étapes à franchir. Après le message du Conseil fédéral, le parlement s’en emparera l’année prochaine et il y aura certainement une votation populaire. C’est seulement là que ce sera terminé. Les pays proches de la Suisse connaissent notre système politique.

Et comme ministre des Finances, êtes-vous prête à vous battre pour défendre ces accords?

L’ensemble du Conseil fédéral s’engagera pour expliquer les avantages et les inconvénients de ce traité.

Vous-même, êtes-vous convaincue des avantages de ces accords?

Il n’y a pas d’opinion personnelle, il n’y a qu’une opinion et c’est celle du Conseil fédéral: il faut stabiliser et approfondir les relations bilatérales avec l’UE. Si on a vécu la votation de 1992 sur l’EEE, on a vraiment intérêt à rester calme, sobre, à expliquer factuellement quelles sont les conséquences d’un oui ou d’un non. On sait que cette question divise. A l’exception de l’UDC, les partis sont partagés ou n’ont pas encore décidé. Il faut donc être très prudent et donner la possibilité aux gens de se forger une opinion. Les partis politiques joueront un rôle important. Et avant tout l’économie. On fait ces traités pour que l’économie suisse ait de façon permanente un accès au marché européen. C’est une attente du Conseil fédéral: que l’économie sorte du bois. Il revient aux entreprises d’expliquer pourquoi elles ont besoin de ces accords.

Elles ne le font pas pour l’instant?

On n’a pas l’impression qu’il y ait une grande passion.

Etes-vous déçue?

Non, c’est un constat. Mon message est simple: s’il s’agit d’accords en faveur de l’économie, c’est aussi à l’économie de défendre ses intérêts. On sent là aussi une certaine division. On ne peut pas faire de la politique en étant simplement spectateur. On ne peut pas juste s’attendre à ce que le Conseil fédéral fasse tout le travail. Dans une démocratie directe vivante, il faut participer. Les acteurs concernés participent souvent lorsqu’ils sont opposés. Qu’ils participent aussi lorsqu’ils sont en faveur.

Que répondez-vous à l’UDC qui parle d’un traité de soumission?

Je n’ai pas à répondre à l’UDC. C’est une opinion qui est légitime. Il y a des groupes politiques qui le perçoivent ainsi, on ne va pas les convaincre. Il faut convaincre les indécis et leur donner la chance de regarder les traités et de se faire leur propre opinion. Je comprends ceux qui veulent d’abord voir le texte, le résultat du processus interne entre les partenaires sociaux. Il faut être patient et ne pas critiquer ceux qui ont une autre opinion.

Quels sont vos prochains rendez-vous internationaux?

Je serai comme ministre des Finances en Afrique du Sud pour la réunion du G20. Il y aura en mai un sommet de la Communauté politique européenne. J’étais récemment en Autriche. Ma priorité sera donnée aux Etats voisins, certainement l’Allemagne.

Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter

La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter pendant la première séance officielle du Conseil fédéral de l'année 2025.

Année présidentielle 2025

Karin Keller-Sutter sera présidente de la Confédération en 2025.

La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter au début du débat au Conseil national

Biographie

La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est à la tête du Département fédéral des finances DFF depuis janvier 2023.

Photo dédicacée

Commander ici une carte dédicacée par la présidente de la Confédération suisse.

La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter discute avec le journaliste Sebastian Ramspeck lors d'une table ronde.

Interviews et contributions

Les interviews de la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter.

La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter parle à la session de printemps des Chambres fédérales

Discours

Discours de la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter dans leur intégralité.