«Ma mère vivait de l’AVS et avait économisé pour ses funérailles»
24Heures (Florent Quiquerez, Iwan Städler) - Bien qu’elle n’ait pas hérité, Karin Keller-Sutter combat l’initiative sur les successions. La présidente de la Confédération parle aussi de la relation avec l’UE et des taxes US.
La semaine dernière, le Tribunal administratif fédéral a jugé illégale l’annulation des obligations dites AT1 dans le cadre du rachat de Credit Suisse. On parle de 16 milliards. Le contribuable devra-t-il payer la facture?
Il s’agit d’une procédure judiciaire en cours, dans laquelle ni le Conseil fédéral ni le Département fédéral des finances ne sont parties. Cela concerne la FINMA et UBS. La FINMA a décidé de porter l’affaire devant le Tribunal fédéral. Je ne peux pas en dire plus.
La Commission des finances du National laisse ouverte la possibilité que la Confédération paie au final. À juste titre?
La commission a été informée du jugement. Je ne peux pas en dire plus.
Samedi, votre parti, le PLR, a approuvé le paquet d’accords avec l’Union européenne (UE) et refusé de le soumettre à la double majorité des cantons. Déçue?
Pas du tout. C’est tout à fait acceptable et cela correspond à la position du Conseil fédéral. Il est maintenant clair quelle sera la position du parti dans la procédure de consultation. Ensuite, nous verrons comment se déroulera le débat parlementaire. Il peut toujours y avoir des surprises.
L’UE est notre principal partenaire commercial, et la Suisse rencontre actuellement des difficultés avec les USA. Cela a-t-il été déterminant dans ce vote?
Il y a peut-être actuellement une volonté plus forte d’avoir des relations stables avec l’UE. Les échanges y sont plus équilibrés qu’avec les États-Unis. Nous sommes un client important pour l’UE, tout comme elle l’est pour nous. Avec les USA, la relation est plus unilatérale et donc plus compliquée.
Vous êtes présidente de la Confédération jusqu’à la fin de l’année. Pensez-vous pouvoir conclure un deal avec Donald Trump d’ici là?
Il est impossible de faire des prévisions. Tout dépendra de l’accord (ou pas) du président américain. Le Secrétariat d’État à l’économie, qui mène les négociations, est en contact avec les autorités américaines.
À quel point les surtaxes à 39% font souffrir l’économie?
Les droits de douane supplémentaires américains concernent moins de 10% de nos exportations. Mais je ne veux pas minimiser la situation: certaines régions et entreprises sont fortement touchées. C’est très préoccupant. D’autant plus que la conjoncture était déjà morose, notamment dans l’industrie des machines, en partie à cause de la récession en Allemagne. Et les exportations horlogères stagnent depuis deux ans. Ces droits de douane viennent s’ajouter à tout cela.
L’initiative de la Jeunesse socialiste aurait-elle des conséquences encore plus graves que les droits de douane américains?
Les deux sont néfastes. Si cette initiative était acceptée, la Suisse perdrait en attractivité pour les personnes fortunées. Il est probable que beaucoup quitteraient le pays. Selon l’Administration fédérale des contributions, sur la base d’une étude du professeur Brülhart, 85 à 98% des fortunes visées par l’initiative pourraient ainsi disparaître. Ce serait dévastateur pour l’économie et pour les recettes fiscales, car les 1% les plus riches paient environ 40% des impôts sur le revenu et la fortune. Si ces recettes venaient à manquer à la Confédération, aux cantons et aux communes, tout le monde en pâtirait. Ce serait une grave erreur de nuire ainsi à notre place économique, surtout dans une conjoncture déjà difficile.
Ce nouvel impôt ne pourrait-il pas résoudre les problèmes financiers de la Confédération?
Non. Les recettes seraient de toute façon affectées à la protection du climat. Elles ne pourraient pas être utilisées pour l’AVS ou pour l’armée. Et la Confédération dépense déjà environ deux milliards par an pour le climat.
Les Jeunes socialistes veulent que les riches paient pour le climat, car ils polluent davantage avec leurs jets et leurs modes de vie luxueux. Ça ne vous convainc pas?
Non. L’initiative ne crée aucune incitation à adopter un comportement plus respectueux du climat.
L’initiative fait grand bruit depuis plus d’un an. Des entrepreneurs ont même envisagé de quitter la Suisse. Mais personne n’est parti. Avez-vous pu rassurer les entrepreneurs?
Ils étaient effectivement très inquiets – tout comme les gouvernements des cantons qui auraient été fortement touchés par des départs. C’est pourquoi le Conseil fédéral a affirmé dès l’année dernière qu’il rejetait aussi bien une interdiction de départ qu’un impôt sur le départ. Ces deux mesures violeraient la liberté d’établissement garantie par la Constitution. Le Conseil fédéral a pu clarifier la situation dans sa réponse à une intervention parlementaire et ensuite dans son message. Il a aussi précisé que de telles mesures ne s’appliqueraient pas rétroactivement.
L’initiative exige pourtant de la Confédération et des cantons qu’ils agissent pour qu’on ne puisse pas éviter cet impôt.
Le texte de l’initiative ne demande pas explicitement un impôt sur le départ ni une interdiction de départ.
Mais il demande d’empêcher les départs…
Il demande des mesures contre l’évitement fiscal. La mise en œuvre d’une initiative doit respecter les principes constitutionnels, comme la liberté d’établissement ou la liberté personnelle. On peut aussi déménager pour des raisons familiales ou professionnelles. Cela ne doit pas être interdit.
Dans notre sondage, cette initiative recueille 67% d’avis défavorable. Toute cette agitation en valait-elle la peine?
Le seul verdict valable sera celui des urnes. Les sondages ne sont pas toujours fiables, comme on l’a encore vu récemment.
L’âge moyen des héritiers est de 60 ans. Vous en avez 61. Avez-vous déjà hérité? Ou attendez-vous un héritage important?
Ni l’un ni l’autre. Mon père est décédé en 1989, ma mère en 2013. Ils tenaient un restaurant et n’avaient pas de deuxième pilier. Ma mère vivait de l’AVS et avait économisé pour ses funérailles. Il ne restait donc pas de grand héritage. Au contraire, je l’ai soutenue financièrement jusqu’à sa mort.
Vous vous opposez à cette initiative, car une taxation à 50% ferait fuir les riches. Mais que penseriez-vous d’un impôt plus modéré sur les héritages?
À l’exception de Schwytz et Obwald, tous les cantons ont un impôt sur les successions. Dans beaucoup de cantons, cet impôt a toutefois été supprimé pour les descendants directs.
Votre canton, Saint-Gall, a été le premier à supprimer l’impôt sur les successions pour les enfants en 1997 pour renforcer son attractivité. Cela a déclenché une réaction en chaîne des autres cantons.
À l’époque, j’étais membre du Parlement cantonal de Saint-Gall.
Et comment aviez-vous voté?
J’ai voté en faveur de la suppression, bien que je savais que je n’en tirerais aucun avantage personnel. L’argent gagné au sein d’une famille a déjà été imposé à plusieurs reprises comme revenu et comme fortune. Il me semblait donc injuste de le taxer encore une fois.
À l’époque, un autre PLR était ministre des Finances: Kaspar Villiger. À la fin des années 1990, il avait regretté que de plus en plus de cantons supprimaient l’impôt sur les successions pour les descendants directs.
Kaspar Villiger s’est aussi opposé en 2015 à un impôt national sur les successions. Il est clair qu’il ne soutient pas l’initiative de la Jeunesse socialiste.
Villiger n’a effectivement jamais milité pour un impôt national, mais il voulait empêcher la disparition des impôts cantonaux modérés. Il estimait que cette taxation était plus juste que l’impôt sur le revenu ou la fortune, car elle ne pénalise pas l’effort. Des économistes partagent cette vision.
Il y a aussi des économistes qui estiment que l’impôt sur les successions est inefficace, car il incite le contribuable à l’éviter – notamment en déménageant. Les recettes potentielles sont donc difficiles à estimer.
Mais dans le fond, qu’un employé doive payer des impôts sur son salaire, alors qu’un descendant qui hérite des millions n’en paie pas, n’est-ce pas injuste?
Le monde ne sera jamais parfaitement juste, ni les impôts parfaitement équitables. Je trouve légitime que l’argent gagné au sein de la famille puisse être transmis sans que l’État en prélève une partie – d’autant plus que ces avoirs ont déjà été taxés, soit comme revenu, soit comme fortune.
Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter

Année présidentielle 2025
Karin Keller-Sutter sera présidente de la Confédération en 2025.

Biographie
La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est à la tête du Département fédéral des finances DFF depuis janvier 2023.

Photo dédicacée
Commander ici une carte dédicacée par la présidente de la Confédération suisse.

Interviews et contributions
Les interviews de la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter.

Discours
Discours de la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter dans leur intégralité.