Pas d’Etat fort sans finances solides

Le Temps - Pour la cheffe du Département fédéral des finances Karin Keller-Sutter, après l’aide publique massive pour amortir le choc de la pandémie, l’heure est au rétablissement des équilibres financiers et aux décisions parfois douloureuses. Pour la ministre, un effort collectif qui s’impose

Ukraine. Proche-Orient. Tensions internationales en mer de Chine méridionale. Pandémie de Covid-19. Cette liste non exhaustive de crises est là pour nous le rappeler: la nouvelle normalité ressemble à la succession d’événements hors courant normal.

En Suisse, on pourrait se dire égoïstement: «Que nous importent les malheurs du monde? Chez nous, tout va bien! » Mais ne nous méprenons pas! Les habitantes et habitants de notre pays sont touchés directement: mesures contre la pandémie, accueil de victimes de la guerre, inflation, etc. De plus, la Suisse n’a pas toujours été ce havre de prospérité et de sécurité en comparaison internationale.

Cette solidité actuelle se base sur plusieurs fondamentaux institutionnels, politiques, économiques ou encore culturels. En ma qualité de ministre des Finances, je souhaite souligner un autre pilier central: la solidité financière de l’Etat, qui permet d’agir rapidement et avec force en cas de nécessité, d’amortir chocs et crises. La pandémie de Covid-19 l’a démontré: la Suisse a été en mesure de contracter quelque 25 milliards de francs de nouvelles dettes. Une somme colossale mais nécessaire! Nous avons pu nous le permettre car nous avions auparavant réduit nos dettes pendant deux décennies.

Kaspar Villiger a eu l’idée géniale du frein à l’endettement

Dans un monde où le surendettement devient la règle, cette stabilité financière fait figure d’exception et de gage de confiance sur les marchés financiers. C’est un de nos principaux atouts pour attirer des investissements. Et lorsque l’économie est florissante, la population suisse en profite directement, sous la forme d’emplois sûrs, de bons salaires, d’impôts versés par les entreprises et de cotisations patronales aux assurances sociales.

Or, cette bonne santé des finances publiques ne tombe pas du ciel. Il faut l’arracher constamment sur le terrain politique. Cela n’a rien de nouveau. Il y a plus d’un siècle déjà, le Conseil fédéral exhortait déjà le parlement à cesser «la chasse aux nouvelles dépenses». Le Conseil fédéral n’est d’ailleurs lui-même pas à l’abri de pareille tentation.

Cette propension quasi naturelle à l’endettement et à la dépense a également hanté l’un de mes prédécesseurs au Département des finances: le conseiller fédéral radical Kaspar Villiger. On peine à l’imaginer aujourd’hui, mais il y plus de vingt ans, la Suisse dépensait pratiquement autant pour les intérêts de la dette que pour l’armée, et même plus que pour la formation et la recherche. L’endettement excessif a donc bien un prix direct et concret sur des prestations essentielles de notre Etat. Ce ne sont pas que des chiffres!

C’est alors que Kaspar Villiger a eu l’idée géniale du frein à l’endettement: un mécanisme sous forme de formule qui oblige les responsables politiques à définir les dépenses en fonction des recettes et de la conjoncture. Une idée géniale et un plébiscite devant le peuple en 2001: près de 85% des votants pour l’inscription du mécanisme dans la Constitution. Message adressé à la Berne fédérale: montrez-vous parcimonieux avec l’argent du contribuable!

La 13e rente AVS compromettrait encore davantage le financement de cette assurance sociale essentielle

Vingt ans plus tard, nouvelle épreuve de vérité pour cette formule financière magique. Les dépenses attendues dépassent largement les ressources disponibles. Les raisons sont multiples et je m’arrête sur deux exemples. L’incertitude géopolitique nous oblige à renforcer, de manière ciblée et efficace, notre capacité de défense. Les développements démographiques engendrent une forte augmentation des dépenses pour la prévoyance vieillesse. Petite parenthèse: le versement d’une 13e rente AVS, question sur laquelle le peuple est appelé à se prononcer le 3 mars prochain, compromettrait encore davantage le financement de cette assurance sociale essentielle.

A ces tendances lourdes s’ajoute une autre tendance ou tentation: transférer allègrement, à coups de millions, des tâches cantonales vers la Confédération. Ce sont, entre autres, plusieurs millions pour la promotion des vins ou de la littérature, des centaines de millions pour la prise en charge des enfants ou plusieurs milliards pour la réduction des primes maladie. Les bonnes idées fleurissent, mais l’argent ne pousse ni sur les arbres ni au Département fédéral des finances.

Un effort collectif qui s’impose

Le frein à l’endettement nous impose de faire des choix. L’idée de contourner l’obstacle par son assouplissement circule certes, mais desserrer ce corset serait une erreur. Sur le plan international, bon nombre d’Etats présentent un endettement inquiétant. Or, ceux qui ne cessent d’accumuler les dettes glissent tôt ou tard vers une crise financière et économique. L’histoire l’a montré: les crises de la dette peuvent entraîner des bouleversements politiques et sociaux majeurs. La Suisse ne doit pas prendre ce risque.

Un effort collectif s’impose. Il ne suffit pas que le Conseil fédéral et le parlement distinguent l’essentiel du secondaire, et qu’ils prennent des décisions peu populaires. Les citoyennes et citoyens ainsi que les chefs d’entreprise doivent baisser leurs exigences envers l’Etat. J’observe que la pandémie a déclenché une sorte de fièvre dépensière. Pourtant, un Etat providence dans tous les domaines n’est pas finançable. Il met aussi en péril la liberté personnelle, en réduisant notamment le pouvoir d’achat.

Celui qui gère soigneusement l’argent du contribuable n’affaiblit pas l’Etat, il le renforce. Et nous avons besoin que l’Etat soit fort. Il conservera ainsi sa capacité d’agir et sera en mesure d’apporter son aide lorsque ce sera vraiment nécessaire.

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Letzte Änderung 13.02.2024

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